De tous les musiciens espagnols ayant écrit pour l’orgue, Joan Baptiste Cabanilles - c’est ainsi qu’il est appelé dans le registre du baptême de sa paroisse, natale d’Algemesi près de Valence - est celui qui a laissé l’œuvre de beaucoup la plus importante. Mgr Higinio Anglès, directeur de l’Institut espagnol de musicologie, a publié depuis 1927 quatre gros volumes d’œuvres pour orgue de Cabanilles, mais ces publications ne représentent encore qu’une partie de ses compositions.
Dans sa jeunesse, Cabanilles parait avoir été petit chanteur de la cathédrale de Valence, où il eut comme maître Jeronimo de la Torre et Urban de Vargas. II n’était encore âgé que de 26 ans lorsque le chapitre de la cathédrale le choisit à l’unanimité pour succéder à de la Torre en qualité d’organiste titulaire. Cabanilles entra dans les ordres et fut ordonné prêtre trois ans plus tard. Pendant quarante-sept années, jusqu’à sa mort, il exerça ses fonctions à la cathédrale. Sa réputation était assez grande pour qu’il puisse être invité à venir toucher les instruments d’Outre-Pyrénées dans certaines cathédrales françaises. Si malgré les recherches de Mgr Anglès, les détails biographiques sont restés assez minces au sujet du maître de l’orgue espagnol, son œuvre révèle une personnalité musicale puissante et originale. Cabanilles est un maître du contrepoint ; on le voit surtout dans la variété de ses expositions, dans la conduite des voix, dans l’art de la variation qui est le sien ou encore dans les dissonances qu’il obtient par l’écriture horizontale de ses compositions. Souvent il emprunte ses thèmes au folklore en les revêtant des mélismes et des glosas caractéristiques du style de l’orgue espagnol. L’audace et pourtant l’harmonie du vrai classicisme -entendu dans le sens d’œuvres d’une perfection intemporelle permettant de «faire ses classes» - se fondent dans une œuvre d’une vie palpitante, pleine de force et d’invention.
Le programme que nous présentons comporte l’intérêt majeur d’un instrument parmi les plus précieux de la facture espagnole. Daroca est situé au sud-est de Saragosse, dans les montagnes. L’orgue de la Collégiale SainteMarie remonte au-delà du XV° siècle ; le buffet actuel, un des plus beaux d’Espagne, remonte à cette époque, c’est-à dire à la fin de l’ère gothique. Les tuyaux du grand orgue sont de provenance diverse, mais la majorité est très ancienne. C’est au XVIIème siècle qu’on ajouta le positif. Les registres d’écho et les trompettes en chamades ne semblent pas avoir été ajoutés avant le XVIIIème siècle. II est possible qu’ils soient l’œuvre de Nicolas Salanoba qui rénova l’instrument en 1718. A partir de 1964, l’un des meilleurs organiers espagnols actuels, Gabriel Blancafort, a remis l’instrument en état sur la base de la disposition de Nicolas Salanoba. II a dû remplacer les sommiers presque totalement détruits ; il a, bien entendu, respecté la facture ancienne et conservé la traction mécanique. L’accord de l’instrument est normal, la pression de 48 mm.
Ce programme montre les divers aspects du génie de Cabanilles, depuis la Batalla mettant en valeur les anches intérieures et extérieures jusqu’aux savants Tientos en passant par la page contemplative de la Passacalles II qui est un de ses chefs-d’œuvre, la virtuosité n’est jamais un but en soi ; elle demeure au service de la prière sans parole. Montserrat Torrent est la figure la plus représentative de l’orgue espagnol actuel ; elle est titulaire de la classe d’orgue du Conservatoire de Barcelone.
Gregori Estrada OSB.
Voici la disposition détaillée de l’instrument dans son état actuel. Les registres en italique sont des anches ; les chamades sont marquées d’un astérisque ; les registres entre parenthèses n’étaient pas terminés au moment de l’enregistrement.
NB.- Les registres de main gauche sont disposés à gauche, les registres de main droite à droite des claviers; La Tolosana comprend 2 2/3', 2', 13/5'; La Corneta Ynglesa 4', 2 2/3', 2', 1 3/5'. Pour comprendre cette disposition, il faut se souvenir que dans la facture espagnole ancienne les registres sont divisés de ut jusqu’à ut dièse; on peut donc jouer sequido, todas manos, ou partido. Dans ce dernier style de jeu, chaque registre de l’orgue a deux timbres différents et le chant de la mélodie est compris entre deux octaves. La pédale est courte et ne comprend qu’une octave avec un si bémol .La pression est très basse. Les mensurations de certains registres de flûtes, octaves, etc., sont très Etroites. La trompeta real est un jeu d’anches intérieur de 8'. Les trompettes horizontales ou chamades sont de 4' et 2' dans la basse à 8' et 16' dans l’aigu.
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