Cette messe écrite sur le thème de l'Introït de l'Assomption, a été éditée à Venise en 1502/3. Comme la plupart de ses contemporains, Josquin des prés semble n'avoir cure du respect de la tradition du plain-chant. La plupart de ses messes utilisent des thèmes profanes L'homme armé, Allez regretz, L'ami Baudichon, etc., et, lorsque comme c'est présentement le cas, il adopte un motif emprunté à la tradition liturgique, il néglige délibérément sa signification la plus évidente pour n'en retenir que le caractère musical. Le chant du Gaudeamus « Réjouissons-nous...» était à l'époque l'introït de la fête de l'Assomption de la Vierge (15 août).
Josquin n'en a retenu que l'expression joyeuse de l'incipit qui deviendra la trame et l'élément d'unité de l'ensemble des chants de l’ordinaire. Tantôt, il fait entendre ce motif au ténor en un ostinato presque comique (premier morceau du Gloria), tantôt il le traite en imitation aux quatre voix (1er Kyrie, Sanctus, Hosanna, Agnus), tantôt encore il le confie à une seule ou à deux voix que contrepointent les autres ( 1er morceau du Credo, dernier Agnus). Parfois encore, pour le repos de l'oreille, il renonce à son motif thématique durant des pièces entières (Christe, 2e morceau du Gloria, 2e Agnus etc.). L'édition originale de cette messe, comme pour toute la musique religieuse de cette époque, laisse de redoutables points d'interrogation à l'interprète: elle ne comporte aucune indication instrumentale; de longs passages sont dépourvus de paroles. L'iconographie et les différentes sources de renseignements organologiques, nous apprennent que cette musique était interprétée par des ensembles de voix et d'instruments. Restait à déterminer la part des uns et des autres. Nous avons confié aux voix tous les textes avec paroles, y compris, lorsque le cas se présentait, les vocalises évidemment placées sur certaines syllabes. Les instruments, d'une part soutiennent les voix, et d'autre part exécutent le contrepoint sans destination autrement précisée. Dans certains cas, les voix n'entonnent qu'un bref incipit, la liturgie prévoyant probablement (suivant l'usage des « messes d'orgue ») qu'un prêtre récite à voix basse, durant l'exécution instrumentale, le texte non chanté, « pour que les paroles soient dites ».
Roger Cotte
Saint-Bonnet-le-Château
Aux confins du Forez et du Velay, la petite ville de Saint-Bonnet-le-Château est dominée par une collégiale, fameuse pour les fresques d'une rare beauté qui en décorent la crypte ou chapelle souterraine. Peintes au début du XVe siècle elles intéressent tout particulièrement le musicien par des représentations d'anges chanteurs et d'instruments de musique. Ceux-ci, au nombre de douze, répartis tout autour de la voûte, répondent très exactement aux signes du Zodiaque, orienté tel qu'en la nuit de Noël.
Des allégories zodiacales ainsi disposées sont fréquentes dans les édifices sacrés de l'époque romane. En règle générale les signes du cancer et du lion (ou leurs correspondants) encadrent, sur le portail Ouest (opposé au chevet et à l'autel) le Christ en gloire. Ils marquent l'apogée de la course annuelle du soleil, et rappellent l'ascension glorieuse du Seigneur. Nous les reconnaissons ici, dans la représentation du Paradis peinte sur le mur d'Occident, à la place normale du portail et de la rosace, absents ici pour des raisons pratiques, sous l'aspect symbolique d'un carillon et du cornet à bouquin droit.
Le carillon - étymologiquement « quatre cloches » - évoque à la fois le quaternaire et le métal argent, liés au symbolisme lunaire et, par conséquent, au signe du cancer. Le quaternaire, d'autre part, est un rappel discret de la croix.
Le cornet droit, habituellement utilisé, jusqu'au XVIIe siècle et avant l'adoption du « serpent d'église », pour le soutien du plain-chant, bénéficiait d'une valeur symbolique nettement établie. Sa couleur claire (il n'est jamais recouvert de cuir , contrairement au cornet courbe et au serpent) avait conduit les peintres à l'associer à des symboles de lumière. Au XVIIe siècle encore le P. Mersenne (« Harmonieuniverselle », 1636) lui attribue pareille valeur mais en fonction de son timbre : « Quant à la propriété du son qu'il rend, il est pareil à l'éclat du soleil... ». Les astrologues établissant les correspondances symétriques Lune/Cancer, et Soleil/Lion, nous comprenons la raison de la présence du cornet à la droite du Paradis. Ajoutons qu'ici, il est accompagné d'une famille de hautbois, sans valeur symbolique dans la tradition. Nous entendons le Cornet droit accompagner le chant du Gaudeamus (Introït du 15 août) qu'entonne un groupe d'anges de la voûte.
Dans le sens de la marche du soleil, nous trouvons sous la petite voûte nord le Cornet courbe. Interchangeable avec le cornet droit dans la pratique musicale, il offre pourtant, dans l'iconographie, une valeur symbolique rigoureusement opposée. Jérôme Bosch et son école, dans les correspondances avec les quatre éléments, placent le cornet droit avec le Feu (ou Soleil) et le cornet courbe avec la Terre, et, par voie de conséquence, aux. Enfers. C'est exactement le même symbolisme que nous propose le peintre de Saint-Bonnet en situant le cornet courbe au sein d'une représentation de l'Enfer, en correspondance avec le signe de la vierge. La vierge du Zodiaque ne présente aucun rapport avec la mère du Christ. Les astrologues attribuent à ce signe la beauté féminine stérile. Nous entendons le cornet courbe exécuter en compagnie d'instruments divers la grivoise chanson de « l’homme armé », absolument à sa place dans l'antre de Satan, mais tellement fameuse à l'époque que plusieurs musiciens la prirent pour thème.de messes!
Il était facile d'imaginer l'attribution du petit orgue positif au signe de la balance, signe de l'équilibre et de l'harmonie. Nous l'entendons jouer une brève pièce liturgique conservée sur un manuscrit d'Oxford, et approximativement datée de 1400.
La petite harpe à fils d'archal est attribuée au scorpion, en vertu de correspondances traditionnellement admises entre les signes du Zodiaque et les différentes parties du corps humain. C’est ici le bas-ventre, sur quoi repose la harpe quand on la joue, que désigne le symbolisme. Pour la gigue, (petite viole tenue entre les jambes, comme notre moderne violoncelle) les correspondances sont doubles, avec le signe du sagittaire. D'une part l'archet (petit arc) offre une facile allusion étymologique, d'autre part, l'homme astrologique déjà évoqué situe le signe aux cuisses, point d'appui de l'instrument. Nous entendons celui-ci concerter avec son voisin, la viole de bras. (Virelai de G. de Machaut). La viole de bras a été attribuée au capricorne (signe de naissance du Christ) en vertu de correspondances symboliques plus complexes. Peut-être, notamment, les géomanciens ont-ils fourni au peintre avec la figure qu'ils nomment en latin Carcer, et que nous pourrions traduire par « grotte » ou « crèche », un des motifs de son choix? Cette figure se marque au moyen de six points ainsi disposés: et elle est, en géomancie, le signe du capricorne. Sa configuration fait assez clairement penser à la caisse de la viole ancienne. Deux basses danses exécutées au rebec, forme primitive de la viole de bras, donnent une autre idée du timbre possible de l'instrument.
Ici nous marquons une pause dans notre parcours du Zodiaque pour écouter, toujours accompagné du cornet droit, le second choeur d'anges de la voûte, celui qui entonne le Gloria.
L'attribution du luth au verseau est sans doute faite par allusion au symbolisme des doubles cordes, qui mériterait d'être développé longuement, et plus simplement à l'hiéroglyphe du signe que connaissent bien les amateurs d'horoscopes :h
Le peintre a tout simplement prétexté de la forme de la mandore (proche de celle de notre mandoline) pour la situer au signe des poissons. Ces deux instruments concertent ou se font entendre séparément au cours de quatre pièces de caractères divers.
Le psaltérion, instrument à cordes doubles, disposé comme notre cithare moderne, sur une caisse de forme trapézoïdale, évoque par son aspect même soit la tête du bélier, soit la représentation hiéroglyphique de ce signe du Zodiaque ^. Nous l'entendons sonner une brève mélodie de Minnesänger.
Le clavicorde correspond au signe du taureau, dont le métal est le laiton, pour les alchimistes. L'instrument, sorte de préfiguration primitive du piano, est monté de cordes de laiton précisément, que frappent de petits sabots de métal fichés à l'extrémité antérieure des touches du clavier. L'idée du peintre est donc parfaitement claire.
La cornemuse, enfin, est située au signe des gémeaux, signe de la dualité (les deux tuyaux), de l'air, des poumons, des bras, de l'amour et du printemps. Nous l'entendons dans une brève mélodie de trouvère.
C'est par l'Ave Regina caelorum qu'entonne un groupe d'anges, toujours soutenus par le cornet droit, que se termine cette évocation de la fresque musicale de Saint-Bonnet, sorte d'hymne pictural à l'Harmonie universelle représentée à travers le destin du Christ et les louanges à la Vierge mère.
Messe Gaudeamus - Josquin des Prés
1 Kyrie, Christe, Kyrie (2’35’’)
2 Gloria: intonation, Et in terra, Qui tollis peccata mundi (5’20’’)
3 Credo: intonation, Patrem omnipotentem, Et incarnatus est, (9’12’’)
Et in spititum, Et unam sanctam
4 Sanctus: Pleni sunt coeli, Hosanna, Benedictus, In nomine Domini (5’11’’)
5 Agnus Dei I - II - III (4’22’’)
Fresques Musicales de Saint-Bonnet-le-Chateau
6 Gaudeamus (groupe vocal et cornet droit) Plain chant (53’’)
7 L'homme armé, fantaisie instrumentale Josquin des prés (26’’)
(cornet courbe, harpe à fils d'archal
grosse flûte à bec, vièle à archet)
8 Felix namque (fantaisie pour orgue positif) Anon. v.1400 (1’08’’)
9 A l'entrée d'Esté B. DE NESLE, fin XII (2’30’’)
Estampie royale (harpe à fils d'archal) Anon. XIIIe (5’36’’)
10 Virelai G. DE MACHAUT (2’10’’)
(viole de gambe (gigue) et viole de bras) 1300-1377,
11 Deux basses danses (rebec et percussions) Ms. de la Cour de Bourgogne (1’47’’)
12 Gloria (groupe vocal et cornet droit) Plain-chant (51’’)
13 Clausula « Domino » (pour luth et mandore) École de Notre-Dame (35’’)
14 Plus dure que diamant (pour le luth) G. DE MACHAUT (2’14’’)
15 Cancion del Emperador sobre LUIS DE NARVAEZ (2’37’’)
« Mille regretz » (pour le luth)
16 La alta, Saltarello (pour mandore et luth) F. DE LA TORRE (1’24’’)
17 Mayenzeit (pour le psalterion) N. VON REUENTHAL (43’’)
18 Fantaisie sur une chanson française Anon. 1452 Ms. de Berlin (59’’)
(pour le clavicorde)
19 En Mai, la Rousée (pour la cornemuse) Trouvère anon (28’’)
20 Ave Regina (groupe vocal et cornet droit) Plain-chant (48’’)
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